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Forclusion décennale & assurance : Cass. 3e civ., 9 oct. 2025 (n° 23-20.446)

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Forclusion décennale & assurance : Cass. 3e civ., 9 oct. 2025 (n° 23-20.446)
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1) Résumé succinct

Parties. EARL du Gros Faulx (maître d’ouvrage) c/ Bulcke Ondernemingen NV (constructeur) et Abeille IARD & Santé ex-Aviva (assureur multirisque exploitation).

Juridiction : Cour de cassation, 3e civ., 9 octobre 2025, n° 23-20.446, arrêt n° 438 FS-B, cassation partielle (publié au Bulletin). 

Nature du litige. Effondrement d’un mur porteur d’une fosse à lisier (ouvrages agricoles) – actions en responsabilité décennale et en garantie d’assurance multirisque.

Effet direct sur la pratique.

Confirmation ferme : la reconnaissance postérieure au 19 juin 2008 n’interrompt pas le délai de forclusion décennale des articles 1792-4-1 à 1792-4-3 C. civ. (alignement avec Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-16.837).

Rappel pédagogique : la prescription biennale d’assurance (L.114-1 C. assur.) est autonome et interrompue par l’assignation en référé-expertise jusqu’à l’extinction de l’instance (art. 2241-2242 C. civ.). 

2) Analyse détaillée

Faits 

2005 (juin). Réalisation d’une fosse à lisier en béton (caillebotis/logettes) par Bulcke pour le maître d’ouvrage (EARL du Gros Faulx).

2012. Intervention de reprise partielle (pose d’une « bordurette ») par le constructeur.

7 mars 2018. Effondrement du mur porteur de la fosse.

20 juil. & 13 août 2018. Assignations en référé-expertise (constructeur/assureur). 25 oct. 2018 : désignation de l’expert.

25 mai & 26 juin 2020. Assignations au fond du constructeur et de l’assureur.

Procédure

CA Amiens, 29 juin 2023. Déclare irrecevables (prescrites/forcloses) les actions contre le constructeur et l’assureur.

Pourvoi de l’EARL du Gros Faulx (deux moyens).

Cassation partielle (Civ. 3, 9 oct. 2025).

Rejet du 1er moyen (forclusion décennale non interrompue par reconnaissance post-2008).

Cassation sur le 2nd moyen (prescription biennale d’assurance interrompue par le référé).

Mise hors de cause du constructeur (art. 625 CPC). Renvoi Amiens autrement composée. 

Contenu de la décision

Arguments – 1er moyen (forclusion décennale).
Le maître d’ouvrage soutenait qu’avant la loi n° 2008-561, la reconnaissance du débiteur interrompait le délai décennal (jurisprudence antérieure), et que le régime transitoire (art. 26 de la loi de 2008) ne s’opposait pas à ce mécanisme pour un délai en cours.

Raisonnement de la Cour – 1er moyen.

Avant 2008 : la reconnaissance du débiteur interrompait le délai (v. Cass. 3e civ., 4 déc. 1991, n° 90-13.461 ; 10 juill. 2002, n° 01-02.243).

Après 2008 : le délai de dix ans des art. 1792-4-1 à 1792-4-3 C. civ. est un délai de forclusion ; sauf texte contraire, il n’est pas régi par les règles de la prescription → la reconnaissance n’interrompt plus ce délai (confirmation Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-16.837).

Transitoire : l’art. 26 de la loi de 2008 vise la durée des prescriptions, non les causes d’interruption/suspension ; application immédiate des lois nouvelles à des situations non définitivement réalisées (principe, art. 2 C. civ., Ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12.125). 

Solution : reconnaissance postérieure au 19 juin 2008 n’interrompt pas la forclusion décennale, y compris si le délai avait commencé avant. Moyen rejeté.

Arguments – 2nd moyen (assurance L.114-1).

Le maître d’ouvrage invoquait l’autonomie de la prescription biennale d’assurance (art. L.114-1 C. assur.) et son interruption par la demande en justice même en référé jusqu’à l’extinction de l’instance (art. 2241-2242 C. civ.).

Raisonnement – 2nd moyen.

Texte applicable : L.114-1 C. assur. (2 ans), interruption par la demande en justice (même en référé) qui dure jusqu’à l’extinction de l’instance (2241-2242 C. civ.). 

Erreur de la CA : avoir lié la prescription biennale à la forclusion décennale contre le constructeur.

Cassation : l’action contre l’assureur, assignée le 26 juin 2020, n’était pas prescrite au regard des interruptions par le référé-expertise d’août-octobre 2018. Renvoi.

3) Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

Cass. civ. 3e, 9 oct. 2025, n° 23-20.446 – Publié, cassation partielle.

Cass. civ. 3e, 10 juin 2021, n° 20-16.837 – Publié. (forclusion décennale : non-interruption par reconnaissance post-2008).

Cass. civ. 3e, 4 déc. 1991, n° 90-13.461 – Publié. (avant 2008, la reconnaissance pouvait interrompre).

Cass. civ. 3e, 10 juill. 2002, n° 01-02.243 – Publié. (portée interruptive de la reconnaissance, précisions).

Ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12.125 – Publié. (principe d’application immédiate des lois nouvelles aux situations non achevées).

Cass. civ. 2e, 3 sept. 2009, n° 08-18.068 – (effets interruptifs liés aux décisions en référé et limites quant aux parties).


3.2 Textes légaux 

C. assur., art. L.114-1 (« Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans… ») – Version en vigueur (mod. loi n° 2021-1837 du 28 déc. 2021). 

C. civ., art. 2241 (« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion… ») – Version en vigueur depuis le 19 juin 2008. 

C. civ., art. 2242 (« L’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance. ») – Version en vigueur depuis le 19 juin 2008. 

C. civ., art. 1792 (principe) et 1792-4-1 à 1792-4-3 (délai de dix ans – forclusion). 

CPC, art. 625 (effets de la cassation – mise hors de cause). 


4) Analyse juridique approfondie

A. Forclusion décennale : consolidation de la ligne “post-2008”

La Cour replace la décision dans un arc jurisprudentiel : avant 2008, la reconnaissance interrompait (1991, 2002) ; depuis 2008, la garantie décennale des art. 1792-4-1 à 1792-4-3 est un délai de forclusion autonome, étranger au régime de la prescription, sauf texte contraire. Cass. 3e civ., 10 juin 2021 a fixé la norme ; l’arrêt 2025 la réaffirme et clarifie le régime transitoire : les causes d’interruption survenues après le 19 juin 2008 sont régies par la loi nouvelle (application immédiate au sens de l’art. 2 C. civ.).

Conséquence pratique : aucune reconnaissance post-2008 (échange amiable, reprise, prise en charge) ne “relance” le délai décennal. 

B. Prescription biennale d’assurance : autonomie et référé interruptif

La 3e chambre censure la CA pour avoir greffé la forclusion décennale (constructeur) sur la prescription biennale (assureur).

Elle rappelle la logique textuelle :

Point de départ L.114-1 ;

Interruption par toute demande en justice (y compris référé-expertise) ;

Effet prolongé jusqu’à l’extinction de l’instance (2241-2242 C. civ.).

Pratiquement, l’assignation en référé de 2018 a interrompu la prescription jusqu’à la clôture de l’expertise (25 oct. 2018), de sorte qu’une action au fond en 2020 n’était pas prescrite. Cette pédagogie rejoint la lignée de la 2e chambre (ex. 2009) sur l’effet interruptif des décisions en référé, avec nuances quant aux parties attraites. 

C. Portée opérationnelle

Maîtres d’ouvrage & praticiens : ne comptez jamais sur une reconnaissance amiable (post-2008) pour “gagner” du temps sur les 10 ans ; anticipez vos assignations ou la réception.

Assureurs/assurés : traitez à part L.114-1 ; pensez référé-expertise comme outil interruptif (mais vérifiez qui est partie à l’instance). 

5) Critique de la décision

La Cour stabilise le régime mixte forclusion/prescription en construction/assurance : clarté accrue pour la pratique.
Distinction cardinale forclusion décennale ≠ prescription biennale ; référé = interruption (assurance) ; reconnaissance ≠ interruption (décennale post-2008).


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