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CJUE Seraing : fin de l’“immunité” TAS sans contrôle effectif (art. 19 TUE)

Le 16 septembre 2025
CJUE Seraing  : fin de l’“immunité” TAS sans contrôle effectif (art. 19 TUE)
CJUE-Seraing-C60023-arbitrage-sportif-TAS-CAS-autorité-de-la-chose-jugée-force-probante-contrôle-juridictionnel-effectif-article-19-TUE-article-47-Charte-article-267-TFUE-FIFA-UEFA-URBSFA-Eco-Swiss-Unibet-Achmea-European-Superleague-ISU-droit-de-l’Union

1. Résumé succinct

Parties :

Royal Football Club Seraing SA (RFC Seraing) c. FIFA, UEFA, Union royale belge des sociétés de football-association (URBSFA).

Juridiction,: Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), Grande Chambre, 1er août 2025, C-600/23. 

Nature du litige : compatibilité avec le droit de l’UE (art. 19 §1 TUE, art. 47 Charte) d’un régime national conférant autorité de chose jugée et force probante à une sentence du TAS/CAS sans contrôle juridictionnel effectif préalable par un juge national habilité à saisir la CJUE au titre de l’art. 267 TFUE.

Effet direct sur la pratique/jurisprudence : la CJUE juge incompatible avec l’art. 19 §1 TUE un dispositif national qui impose aux juridictions de tenir pour acquis le bien-fondé d’une sentence TAS sur la compatibilité des règles sportives avec le droit de l’UE sans contrôle effectif préalable par un juge national pouvant, le cas échéant, poser une question préjudicielle. Elle précise corrélativement une obligation d’écarter de telles règles nationales.

2. Analyse détaillée

Les faits 

8 juillet 2015 : le RFC Seraing adhère à l’URBSFA.

2015–2016 : sanctions FIFA (interdiction de recrutements, amende) pour violation des art. 18 bis et 18 ter du RSTJ (tiers-propriété/tiers influence). 7 janvier 2016, la Commission d’appel de la FIFA confirme.

2016–2017 : arbitrage devant le TAS/CAS à Lausanne ; sentence défavorable au club ; tentative de recours devant le Tribunal fédéral suisse (irrecevable).

2019 : plainte du club auprès de la FIFA contre l’URBSFA ; rejet (25 juillet 2019).

2019–2021 : action en responsabilité contre FIFA/UEFA/URBSFA devant le juge belge. Les juges de 1re instance et d’appel refusent d’examiner la compatibilité au fond, estimant la question couverte par la sentence TAS dotée d’une force probante et d’une autorité quasi-juridictionnelle.

Cassation (Belgique) : saisie du pourvoi, la Cour de cassation renvoie à la CJUE au titre de l’art. 267 TFUE.

La procédure

TAS/CAS (Suisse) : arbitrage sportif — sentence défavorable au RFC Seraing ; absence de succès du recours au Tribunal fédéral suisse.

Belgique — 1re instance & appel : rejet des demandes du club au motif de la force probante/chose jugée conférée à la sentence du TAS.

Belgique — Cour de cassation : question préjudicielle à la CJUE sur la conformité d’un tel régime national avec l’art. 19 §1 TUE et 47 Charte.

CJUE (grande chambre) : arrêt du 1er août 2025 (C-600/23). Cour de justice de l'Union européenne

Contenu de la décision

Arguments 

Le RFC Seraing soutenait que le refus des juridictions belges de réexaminer la compatibilité des règles FIFA avec le droit de l’UE, en se retranchant derrière la sentence du TAS, porte atteinte au droit à un recours effectif (art. 47 Charte) et à l’exigence de contrôle juridictionnel effectif (art. 19 §1 TUE).

La position nationale consistait à reconnaître une autorité probante/présomption au profit de la sentence TAS, sans contrôle judiciaire préalable portant sur le droit de l’UE par un juge habilité à saisir la CJUE.

Raisonnement de la CJUE

Principe : l’art. 19 §1 TUE impose aux États membres d’assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’UE ; l’art. 47 de la Charte garantit un recours effectif et un tribunal indépendant. La procédure préjudicielle (art. 267 TFUE) est au cœur de cette architecture.

Conséquence : un régime national qui confère à une sentence TAS une autorité de chose jugée ou une force probante empêchant le juge national d’exercer un contrôle effectif de conformité au droit de l’UE avant toute exécution/incidence méconnaît l’art. 19 §1 TUE.

Contrôle requis : il doit exister un contrôle juridictionnel effectif préalable par une juridiction nationale autonome, impartiale, indépendante et habilitée à renvoyer à la CJUE — soit dans le cadre d’un recours en annulation (contre la sentence), soit via un contrôle incident suffisant en amont des effets de la sentence. À défaut, les juridictions doivent écarter la règle nationale qui les empêcherait de contrôler.

Portée : l’arrêt n’exclut pas l’arbitrage sportif ni la compétence du TAS, mais interdit aux États membres d’ériger un écran probatoire ou de chose jugée sans filet de contrôle effectif pouvant conduire, si nécessaire, à une question préjudicielle.

Solution

L’art. 19 §1 TUE s’oppose à des règles nationales qui attribuent autorité de chose jugée/force probante à une sentence TAS sans contrôle juridictionnel effectif préalable par une juridiction nationale aptes à saisir la CJUE. Le juge national doit écarter ces règles et assurer le contrôle.

3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

CJUE, gde ch., 1 août 2025, C-600/23, RFC Seraing 

CJUE, gde ch., 21 déc. 2023, C-333/21, European Superleague Company 

CJUE, gde ch., 21 déc. 2023, C-680/21, Royal Antwerp Football Club 

CJUE, 21 déc. 2023, C-124/21 P, International Skating Union / Commission 

CJUE, 1 juin 1999, C-126/97, Eco Swiss 

CJUE, gde ch., 13 mars 2007, C-432/05, Unibet 

CJUE, 26 oct. 2006, C-168/05, Mostaza Claro

CJUE, 6 oct. 2009, C-40/08, Asturcom Telecomunicaciones

CJUE, gde ch., 6 mars 2018, C-284/16, Achmea 

CJUE, gde ch., 22 févr. 2022, C-430/21, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) 

CJUE, gde ch., 19 déc. 2019, C-752/18, Deutsche Umwelthilfe 

3.2 Textes légaux

Article 19 TUE (version JO C 202 du 7.6.2016) : « La Cour de justice de l’Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des juridictions spécialisées. Elle assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités. » 

Article 267 TFUE (version JO C 202 du 7.6.2016) : compétence préjudicielle —

Article 47 de la Charte (JO C 202 du 7.6.2016) : « Droit à un recours effectif et à un procès équitable … » 

Les visas des articles 19 TUE, 267 TFUE et 47 Charte figurent également in extenso dans l’arrêt (pts 3-5).

4. Analyse juridique approfondie

a) Décryptage du raisonnement

Architecture de protection (art. 19 §1 TUE / art. 47 Charte / art. 267 TFUE)

La CJUE réaffirme que les États membres doivent garantir un contrôle juridictionnel effectif des actes/effets impliquant le droit de l’UE. L’arbitrage privé ne saurait priver les justiciables de l’accès à un juge national pouvant saisir la CJUE si une question d’interprétation/validité du droit de l’UE se pose.

Arbitrage sportif et “écran” probatoire

Attribuer par la loi une force probante/autorité assimilable à la chose jugée à une sentence du TAS pour faire obstacle au réexamen effectif par le juge national méconnaît l’art. 19 §1 TUE. Le juge national doit écarter cette règle et procéder lui-même au contrôle, au besoin en posant une question préjudicielle.

Continuité jurisprudentielle

Arbitrage & ordre public de l’UE : Eco Swiss (C-126/97) impose la prise en compte du droit de la concurrence comme ordre public lors du contrôle d’une sentence. Cour de justice de l'Union européenne

Effectivité/recours effectif : Unibet (C-432/05) impose l’existence d’une voie de droit effective pour contester une incompatibilité au droit de l’UE. Cour de justice de l'Union européenne
Clauses compromissoires & autonomie du droit de l’UE : Achmea (C-284/16) — impossibilité de soustraire des litiges au dialogue juridictionnel (art. 267 TFUE).


Sport & UE : ISU (C-124/21 P) et European Superleague (C-333/21) rappellent que les règles sportives doivent respecter le droit de l’UE et rester contrôlables par un juge.


b) Comparaison avec la jurisprudence antérieure

Concordances :

Avec Eco Swiss : nécessité d’un contrôle “ordre public UE” des sentences arbitrales. 

Avec Unibet : garantie d’un recours effectif contre l’atteinte alléguée au droit de l’UE.


Avec Achmea : refus des zones d’immunité juridictionnelle vis-à-vis du droit de l’UE. 

Précision nouvelle (apport Seraing) : la Cour cible l’effet probatoire/autorité de chose jugée

automatiques des sentences TAS, lorsqu’ils bloquent le renvoi préjudiciel, et impose un contrôle préalable effectif par un juge national.


c) Évolution des pratiques

États membres : adaptation des législations/pratiques d’exequatur ou de reconnaissance des sentences TAS pour garantir un contrôle effectif (annulation ou contrôle incident avant que la sentence ne produise des effets contraignants en droit interne).

Fédérations sportives : vigilance accrue dans la rédaction des règlements (FIFA/UEFA) à la lumière de Superleague/Royal Antwerp et désormais Seraing. Cour de justice de l'Union européenne+1

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